Responsabilité pour trouble anormal de voisinage (régime juridique) et pouvoir de police du maire

Comme il s’agit d’un sujet assez récurrent et d’une problématique fréquemment rencontrée au sein des communes notamment celles situées en milieu rural, il convient de porter à la connaissance des élus locaux le régime juridique applicable aux nuisances sonores causées par des animaux domestiques (exemple : chants de coqs) de certains propriétaires à leurs voisins.

Le Code de la santé publique sanctionne les bruits excessifs qui perturbent la tranquillité publique․ Il dispose, dans son article R.1336-5, que « aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité ». Parmi les nuisances sonores, on trouve les bruits d’animaux : aboiements répétitifs d’un chien, nuisances causées par un élevage non maîtrisé, chant de coq (CA Dijon, 2 avril 1987). Lorsqu’elle dépasse les inconvénients normaux que chacun doit supporter dans la vie en collectivité, la nuisance sonore peut être qualifiée de trouble anormal du voisinage (TAV). Cette notion jurisprudentielle repose sur le principe que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » , posé dans un arrêt de principe de la Cour de cassation du 19 novembre 1986, n°8416.379. Il s’agit d’une responsabilité sans faute. C’est l’anormalité du trouble qui entraîne la responsabilité de l’auteur. Or, la qualification de TAV dépend de nombreux facteurs, dont : la nature du bruit, sa fréquence, son intensité, son horaire, l’antériorité de l’occupation des lieux, la sensibilité du voisinage, le nombre d’animaux et le contexte géographique.

Avant 2021, l’absence de législation spécifique concernant les bruits de la campagne créait des incertitudes juridiques․ Par conséquent, la loi du 29 janvier 2021 visant à protéger le patrimoine sensoriel des campagnes est venue « légaliser » les bruits traditionnels de la campagne tels que le chant du coq, tout en préservant la possibilité de recours en cas de nuisances excessives․ Cependant, il est important de souligner que ladite loi ne s’applique pas rétroactivement et que les affaires antérieures à sa promulgation sont jugées selon les lois en vigueur à l’époque․ Cette loi est venue modifier l’article L.110-1 I alinéa 1er du Code de l’environnement de sorte qu’il dispose que « Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sons et odeurs qui les caractérisent, (…) font partie du patrimoine commun de la Nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage ». La stratégie était assumée : exclure des troubles anormaux du voisinage ceux liés aux nuisances rurales sonores et olfactives. En effet, la loi du 29 janvier 2021 (dite loi Maurice) avait donné lieu à la solution jurisprudentielle retenue par la Cour d’appel de Chambéry dans un arrêt du 9 décembre 2021 qui est venu confirmer un jugement de première instance rendu par un tribunal d’instance en 2019 (TI Rochefort-sur-Mer, 5 septembre 2019, n°11-19-000233) dans la fameuse affaire du coq Maurice, où le juge estimait que « le caractère épisodique et de faible intensité du chant, ainsi que l’éloignement du centre-ville de son auteur, ne permettaient pas de qualifier l’anormalité du trouble ». L’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry a été ensuite confirmé par un arrêt de la Cour de cassation (Cass., 3e chambre civile, 16 mars 2023, n°22-11658). Par ailleurs, dans une affaire récente du coq Ricco, le tribunal de Bourgoin-Jallieu a rendu son jugement le 4 juillet 2025 où il a affirmé que « le chant de ce coq n’était pas une nuisance sonore ». Ce cas est la reconnaissance légale du chant des coqs comme un « patrimoine sensoriel » protégé par le droit français depuis 2021.

En outre, sachez que la loi n°2024-346 du 15 avril 2024 visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels codifie la jurisprudence relative aux troubles anormaux du voisinage et instaure ainsi le principe de responsabilité pour « trouble anormal de voisinage » dans le Code civil. Désormais, le nouvel article 1253 alinéa 1er du Code civil dispose que « le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte ». L’alinéa 2 de cet article prévoit la cause d’exonération de responsabilité pour occupation antérieure. Depuis 2024, un nouveau principe est donc venu renforcer la protection des propriétaires d’animaux domestiques bruyants dans le milieu rural : le principe d’antériorité. Selon ce principe, si le poulailler était déjà présent avant l’arrivée du plaignant dans le voisinage, ce dernier ne peut pas demander son retrait ou une indemnisation, sauf si : l’activité du propriétaire a significativement changé (plus de coqs et poules ajoutés, changement d’emplacement…) ; le propriétaire ne respecte pas la réglementation sanitaire ou municipale.

Il faut donc noter que le chant du coq du voisin n’est pas automatiquement considéré comme une nuisance. Tout dépend du lieu d’habitation, de la fréquence et des horaires des vocalises. En zone rurale, le chant du coq est reconnu comme un bruit naturel et traditionnel, difficile à contester, sauf en cas de gêne manifeste ou de non-respect des distances légales. En pratique, cela veut dire qu’en milieu rural, il est difficile de faire interdire ou déplacer un volatile simplement parce qu’il chante, à moins que la nuisance soit vraiment exceptionnelle (chant toute la nuit, proximité extrême avec la propriété voisine, non-respect des distances légales). A noter que la loi encadre la distance légale entre un poulailler et une habitation. En revanche, elle ne fixe pas une distance unique valable partout en France : celle-ci dépend du règlement sanitaire départemental et du nombre de volailles élevées. Toutefois, quelques règles générales s’appliquent à la plupart des départements :

• Moins de 10 volailles : aucune distance minimale obligatoire au niveau national, mais il est recommandé de placer le poulailler à plusieurs mètres des habitations voisines.
• De 10 à 50 volailles : au moins 25 mètres entre le poulailler et la première habitation occupée par des tiers.
• Plus de 50 volailles : au moins 50 mètres de distance.

En revanche, en zone urbaine ou en lotissement, le chant des coqs peut être qualifié de TAV si :
• Il est très fréquent ou prolongé (plusieurs heures dans la journée).
• Il se produit à des horaires inappropriés, notamment entre 22h et 7h (tapage nocturne).
• Il est très proche des habitations (poulailler à quelques mètres d’une fenêtre).

En ville (milieu urbain), de nombreux règlements sanitaires départementaux (RSD) ou arrêtés municipaux interdisent la présence de coqs ou exigent que leur détention respecte des conditions très strictes (distance minimale avec les habitations, absence de nuisances…).

Le pouvoir de police générale a notamment pour objet d’assurer la tranquillité publique en prévenant et réprimant les bruits et troubles de voisinage. Il appartient ainsi au maire de « prendre les mesures appropriées pour empêcher sur le territoire de sa commune les bruits excessifs de nature à troubler le repos et la tranquillité de ses habitants » (CE, 12 mars 1986). Il a une obligation d’agir en la matière (CAA Marseille, 14 mars 2014). Le maire ou la police municipale va donc intervenir pour faire cesser les troubles, voire exiger l’éloignement des animaux bruyants (en vertu des articles L.2212-1 et L.2212-2 du CGCT). A ce titre, le maire devra évaluer la nature, la fréquence, la période et l’intensité des troubles de voisinage et, en cas d’atteinte avérée à la tranquillité publique constatée par procès-verbal, prendre un arrêté individuel sur la base de l’article L.1311-2 du Code de la santé publique, mettant le propriétaire des animaux en demeure d’y remédier. Concernant la mise en œuvre de ces pouvoirs de police du maire, vous devez noter que, lors d’une première étape : après une tentative de conciliation entre les parties et si celle-ci échoue, il appartient au maire de la commune de vérifier s’il existe déjà un arrêté préfectoral relatif aux bruits de voisinage. Une majorité de départements sont dotés d’un arrêté du Préfet relatif au bruit et comportant des précisions sur les troubles de voisinage. Si un tel arrêté existe, le maire est chargé d’en faire respecter les dispositions, en adressant une mise en demeure aux propriétaires des animaux fauteurs de trouble de respecter ce dernier. Il est également possible de le compléter ou de le renforcer par un arrêté municipal prévoyant que « sont réglementés les bruits de voisinages provenant notamment de cris d’animaux domestiques et de basse-cour, afin de le rendre plus facilement opposable et plus adapté aux spécificités locales de la commune » (CAA Marseille, 20 décembre 2010, Corbière c/ Commune de Saint Tropez). En l’absence d’arrêté préfectoral, il est donc nécessaire de prendre un arrêté municipal pour encadrer les bruits causés par les animaux.

Néanmoins, lorsque les troubles de voisinage ne constituent pas des atteintes à la tranquillité publique (l’ordre public), le maire est incompétent pour édicter, par arrêté, une mesure de police. En effet, le maire ne peut pas prendre des mesures d’interdictions générales et absolues (Conseil d’Etat, décision de principe « Benjamin », 19 mai 1933, n°17413 ; en matière d’aboiement : CE, 5 février 1960, « Commune de Mougins », réponse ministérielle, 31 mars 2006, n°84120, JOAN, p. 3146). Pour cette raison, une plage horaire au cours de laquelle les bruits d’animaux sont interdits doit être clairement identifiée (de 20 heures à 7 heures par exemple). Par ailleurs, l’acte doit être suffisamment motivé (en droit et en fait) quand il s’agit d’un arrêté à portée individuelle au titre du Code des relations entre le public et l’administration. Les mesures de police administrative ont pour caractéristique principale de limiter un certain nombre de libertés individuelles. Par exemple, un arrêté pris par le maire d’une commune rurale en septembre 2023 « interdit de posséder le nombre d’animaux que l’on souhaite ». Il vient ainsi limiter le droit de propriété (article 17 de la DDHC) tout comme « le droit de tout homme de détenir des animaux » (article L.214-2 du Code rural). Or, une mesure de police administrative doit être nécessaire et proportionnée au but poursuivi. A ce titre, la jurisprudence récente confirme que « le maire, dans l’exercice de ses pouvoirs de police (article L.2212-2 du CGCT), ne peut édicter de mesures générales et permanentes restreignant la détention d’animaux que si elles sont justifiées et strictement nécessaires au maintien de l’ordre public. À défaut de circonstances locales établissant la nécessité d’une réglementation aussi contraignante, l’arrêté est illégal. En l’espèce, la commune avait limité le nombre de poules en zone urbaine, interdit les coqs et imposé diverses contraintes aux éleveurs familiaux » . Le tribunal juge que « ces mesures, générales et excessives, ne sont pas justifiées par les seules nuisances liées à un élevage particulier. L’arrêté municipal est annulé pour disproportion » (TA Montpellier, 15 octobre 2024, commune de Sorède, n°2300760).

Une fois l’arrêté réalisé (si cela était nécessaire) et si la mise en demeure des responsables de l’animal fauteur de trouble est restée sans effet, une constatation du trouble devra être réalisée par le maire, sans qu’il soit besoin de procéder à des mesures acoustiques. À l’issue de ces constatations, le maire pourra passer à un volet répressif au titre : de la police générale issue du 2° de l’article L.2212-2 du CGCT : l’infraction sera passible d’une amende maximum de 38 euros (contravention de 1re classe pour non-respect d’un arrêté de mise en demeure, d’un arrêté municipal règlementant le bruit) ; de la police spéciale issue des articles R.1336-5 et suivants du CSP : infraction passible d’une amende maximum de 450 euros (contravention de 3e classe) et possibilité d’une peine complémentaire de confiscation ou capture de l’animal. Enfin, un procès-verbal rédigé par le maire est susceptible d’être transmis au Procureur de la République, pour qu’une décision de justice soit prise.

En complément de l’action administrative du maire, des actions personnelles des plaignants en justice sont possibles. En cas de nuisance sonore considérée comme trouble anormal de voisinage, deux recours peuvent être envisagés : amiable ou judiciaire. La personne lésée peut même faire intervenir un commissaire de justice (huissier) afin d’établir une preuve formelle. Avant d’envisager la voie juridictionnelle devant le Tribunal judiciaire, il est primordial de privilégier le dialogue et la recherche d’une solution à l’amiable. Ainsi :

• La victime présumée se plaignant de nuisances sonores doit d’abord discuter avec le propriétaire des animaux générant du bruit. Parfois, celui-ci n’a pas conscience du trouble anormal causée à autrui et il pourra alors y remédier. Il faut donc lui expliquer la gêne causée par les bruits d’animaux et établir un dialogue constructif pouvant permettre de trouver une solution acceptable pour les deux parties, comme par exemple : le déplacement ou aménagement du poulailler, la mise en place de mesures d’insonorisation ou le fait de couvrir le coq la nuit pour limiter les chants matinaux, mais aussi le fait d’installer des dispositifs pour limiter les aboiements  ; d’empêcher l’accès du chien aux zones proches des parties habitées ou de veiller à ce que l’animal ne reste pas seul pendant de longues périodes. Si la situation persiste, une lettre de mise en demeure peut être envoyée en recommandé avec accusé de réception en exigeant la cessation des troubles.

En cas d’échec de la négociation amiable, le recours à un médiateur ou un conciliateur de justice peut faciliter la recherche d’un accord․ La médiation ou la conciliation permet de désamorcer le conflit et de trouver un consensus sans passer forcément devant le juge․ Notez par ailleurs que « si les nuisances sont constitutives de troubles anormaux du voisinage, un tel recours amiable préalable est désormais obligatoire » en amont de la saisine du juge (en vertu de l’alinéa 1er de l’article 750-1 du Code de procédure civile, modifié par le décret n°2023-357 du 11 mai 2023 et du nouveau décret n°2025-660 du 18 juillet 2025). Ce décret du 11 mai 2023 entré en vigueur le 1er octobre 2023 prévoit toutefois 5 cas de dispense de cette obligation (notamment l’indisponibilité de conciliateurs de justice regardée comme établie au-delà d’un délai de trois mois à compter de leur saisine).

• En dernier recours, si les tentatives de résolution amiable échouent, le tribunal judiciaire peut être saisi pour faire cesser la nuisance. Il est essentiel de réunir des preuves solides de la nuisance sonore, telles que des témoignages, des enregistrements sonores réalisés dans des conditions rigoureuses et des relevés de niveaux sonores effectués par un expert․ Notez que la simple présence d’un animal ne suffit pas à justifier une plainteIl faut démontrer qu’il génère un bruit excessif et répétitif, portant atteinte à la tranquillité des voisins et dépassant le cadre normal de la vie rurale․ Le juge peut ordonner le versement de dommages et intérêts en réparation du préjudice ainsi causé. Au-delà d’une réparation matérielle, les juges ont de nombreux pouvoirs pour décider des mesures les plus efficaces pour faire cesser le trouble. Ils peuvent prononcer : l’installation d’une séparation coupe-vent destinée à empêcher le chien de s’approcher du fonds voisin ; des travaux à effectuer, comme par exemple la construction d’un mur anti-bruit, une limitation du nombre de chiens tolérés dans la propriété ; l’obligation pour le propriétaire d’aménager sa parcelle recevant son chenil pour les chiens.

— Dernière mise à jour le 6 octobre 2025

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